Le joueur de poker est-il un gros fainéant ? (glandeur et décadence)

Avant de répondre, commençons par nous pencher sur l’étymologie du mot « travail » qui vient du latin « tripalium », alias un instrument de torture moyenâgeux composé de trois pieux huilés qui rentraient dans le corps en divers endroits (les moines de l’inquisition étaient facétieux et se laissaient des possibilités de varier leurs plaisirs sadiques), provoquant une douleur intolérable suivie d’une agonie lente conduisant irrévocablement à la mort.

Voici donc l’origine du mot étant naturellement venue à la bouche des hommes depuis X générations pour désigner l’activité qui allait occuper la moitié de leur temps de vie : le travail est une torture.

Il est vrai aussi que j’ai personnellement toujours entendu les gens autour de moi me répéter que « La vie Claire, tu sais, c’est pas drôle ». Ou alors « Il faut souffrir tu sais aussi. La vie, c’est pas que du plaisir ! ». Et enfin, plus pragmatique « Tu sais Claire, la retraite, elle va pas tomber toute seule, faut y penser. Parce que la liberté de ne plus travailler, ça se mérite. »

Super. Après 40 ans à me faire chier dans un boulot à la con (je n’ai même jamais envisagé qu’un travail puisse être autre chose qu’un truc désagréable), je pourrais faire le tour du monde avec papy à mon bras, le tout avec une valise pleine de médocs, un caniche et un déambulateur à roulettes.

J’ai donc refoulé très tôt l’idée de travailler et très logiquement décidé que je passerais ma vie à chercher comment faire pour gagner le plus d’argent possible en bossant le moins possible (j’ai depuis un master en optimisation de souffrance). Vous me direz que tout le monde veut la même chose mais encore faut-il se mettre le coup de pieds aux fesses pour y arriver et surtout de solides œillères pour ne jamais avoir peur des fins de mois.

Voici un apercu de ce qui s'est passé avant et après l'écriture de ce blog (mais je peux vous assurer que ce n'est en aucun cas représentatif de la vie de l'auteur -quoique...) 🙂

Nombre des joueurs de poker que je connais naviguaient déjà, avant de passer pro, en marge d’un système dans lequel ils ne se sentaient pas bien . En effet, peu d’entre eux étaient fonctionnaires dans les administrations, profs, comptables, banquiers, avocats ou ouvriers, bien installés dans leur maison avec leur famille. Ils avaient déjà l’esprit (ou parfois déjà le corps) en parallèle, occupé à chercher un moyen détourné pour vivre autrement.

Attention, il n’y a aucun jugement de valeur dans ce que je dis : je connais des tas de gens qui aiment le confort apporté par un travail offrant une paie régulière permettant de payer les différents crédits en cours. C’est juste que perso, ça ne me convient pas ; comme un vêtement trop grand dans lequel on se sent ridicule. De plus, il y a aussi des personnes qui aiment leur boulot– malgré des horaires fixes et des contraintes à tire-larigot. Mais force est d’admettre que je connais plus de gens qui tolèrent leur taf « Ca va, j’ai pas à me plaindre et pis, faut bien bosser » que de gens qui partent bosser le sourire aux lèvres le matin parce qu’ils adorent leur métier.

Il y a deux jours, j’ai rencontré un français qui travaillait dans la pub et qui avait subitement décidé de quitter l’autoroute « travail, femme, enfants » (dixit lui-même). Il bossait dans la pub à Paris et avait tout quitté pour venir ouvrir une barraqua, sorte de mini-resto de plage au milieu de nulle part sur une plage au Brésil, le tout pour un investissement pas énorme de genre 15 000 euros tout compris (en ayant acheté les murs/terrasse sur pilotis/frigo/sono/déco etc…). Il avait tout plaqué afin de se laisser une place pour l’imprévu. Et en sachant que son affaire ne marcherait probablement pas et qu’il en aurait p’tet vite marre : « Pas grave, maintenant que j’ai changé une fois, je peux le faire à nouveau ».

Et c’est là qu’on touche le cœur du problème. Je ne crois pas que les joueurs de poker pro soient fainéants. Ce n’est pas le mot. Ils sont juste autoroutophobes (la peur des choses tracées). Ils aiment que leur vie leur laisse une inconnue : ils seront soit riches soit pauvres mais ils ont au moins l’excitation de ne pas savoir ce qui arrivera dans les jours/mois/années à venir.

On pourrait aussi rajouter contraintophobes (d’aucuns pourraient d’ailleurs considérer ce mot comme un synonyme direct de fainéant mais je vais sortir mon joker « légère mauvaise foi » car sinon, tout mon article s’écroule : on dira plutôt alors que le joueur de poker aime faire ce qu’il a envie de faire quand tel est son bon plaisir, et qu’il ne rechignera pas devant l’effort à la condition sine qua non qu’il puisse prendre un quelconque plaisir à ce dernier : perso, je ne suis fainéante qu’avec les activités qui m’indisposent – écrire un article de trois pages n’en faisant pas partie), « lêve-tardophiles » ou « patronphobiques ». Mais je ne crois pas qu’il y ait de peur face à l’effort (certains sont même accros à ce besoin de risque et cette envie de passer des heures à lutter). Car s’engager dans le Main Event, par exemple, c’est quand même passer une semaine d’angoisse, de concentration et de stress hors norme : c’est aussi suer sang et eaux, pester, râler, pleurer, réfléchir ou souffrir. Après, je vous le concède, la carotte ressemble plus à la piscine de l’Oncle Picsou qu’à la mare aux canards de Tante Marthe…

J’ai déjà rencontré des joueurs m’ayant dit qu’ils étaient fainéants et qu’ils ne pouvaient pas faire autre chose que jouer au poker. Mais outre un amour du jeu (tarot, jeu de l’oie, marelle, yam’s, cluedo, solitaire, backgammon, échecs…) que l’on retrouve chez la quasi-totalité d’entres eux depuis l’enfance, je crois plutôt que l’adjectif approprié s’appelle « chemin-de-traverseurs ».

Je l’ai déjà dit et je le répète encore, le poker n’a rien d’une panacée. Sans sponsors, on reviendrait dix ans auparavant, quand les joueurs étaient tous broke à un moment donné de leur carrière et devaient se faire aider par les potes pour se remettre sur les rails : c’était des temps hardcore. Et qui le sont toujours pour grand nombre de bons joueurs français non-sponsos qui n’ont pas monté de business à côté et qui ne vivent que du jeu. L’argent, ça va, ça vient.

Le poker n’est pas un sport de glandu et n’est pas non plus une solution de facilité : si on est vraiment fainéant, sans rigueur dans sa vie et un minimum de discipline, quel que soit le milieu dans lequel on évolue, on coule.

« Le poker, c’est le moyen le plus difficile pour se faire de l’argent facile » disait-on déjà aux premières heures de Las Vegas et du Binion’s. Et c’est toujours le cas…

24 Réponses to “Le joueur de poker est-il un gros fainéant ? (glandeur et décadence)”

  1. Carlit Says:

    Le gamin qui ne bosse pas à l’école fait habituellement le mauvais choix: « si tu veux pas bosser avec ta tête, tu bosseras bien plus dur avec tes bras », air connu, en subissant et avec en + l’angoisse des fins de mois. Le joueur qui réussit bosse énormément j’en suis certain, même s’il bosse « un jeu », et doit gérer sa marginalité dans la société… loin d’être évident. Une élite s’en sort, comme dans tous les domaines, les autres rêvent et dégringolent, comme d’hab…

  2. eiffel Says:

    marrant, je vois la vie d’un joueur de poker comme un travail à l’usine, où l’on joue main après main, à chercher à faire du volume (payé à la pièce)

    je crois que tout est question de point de vue finalement 😉

  3. satanas Says:

    Le rêve est entretenu par les médias qui présentent des quidam qui, du jour au lendemain, gagnent des sommes folles sans préciser qu’il y a derrière, la plupart du temps, du talent et beaucoup de travail.
    Sans talent, sans travail ou sans idée de génie, il n’y a pas de fortune qui vous tombe dans le bec.
    Le joueur de poker pro qui gagne beaucoup d’argent rentre pleinement dans cette catégorie et il n’y a pas de secret. Même si c’est à Vegas que le pognon se gagne ou dans d’autres lieux de vilégiature révé, passer des heures à jouer n’a rien de s’y extraordinaire que ça. Cela reste du… travail.
    On a toujours le choix, on est toujours libre, au lieu de râler, que chacun agisse, arrête de regarder chez le voisin et prenne son destin en main.
    Le type avec sa baraque sur la plage a tout compris, il est libre.

  4. Maillon Says:

    Espérer gagner 1 million de dollar + juste en jouant un tournoi de poker c’est déjà une forme de paresse, mais cela ne veut pas dire que les joueurs de poker ne sont pas « travailleurs », beaucoup vont s’investir au delà du volume de jeu pour s’améliorer techniquement.
    La différence avec un boulot classique c’est quand même le risque pour les joueurs non sponsorisés. Personnellement je ne me vois absolument pas risquer 50000$ de mon propre argent pour jouer une série de tournois des wsop 🙂

  5. Ricardoc Says:

    Bel article même si je ne partage pas tout
    😉

  6. Luisetti Says:

    @Satanas (« Sans talent, sans travail ou sans idée de génie, il n’y a pas de fortune qui vous tombe dans le bec ».)

    J’ai envie de répondre: Loana.

  7. le boursicoteur Says:

    La vision du Poker est très différente d’un individu à l’autre !

    Il y a au bout du chemin pour les joueurs pros, l’attrait d’une vie différente avec la possibilité de gagner de l’argent en vivant de son addiction et pour les autres joueurs ( peut être moins courageux et casse cou ) un loisir passionnant.

  8. viedefish Says:

    En fait, tout est finalement question de vision subjective de pénibilité associée à une certaine activité… Car, outre le fait établi de ne pas avoir de patron ni d’horaires (quoique… les tournois, ils commencent à l’heure aussi), je suis assez d’accord avec le côté travail à la chaine dont parle Eiffel pour qualifier les gros joueurs online. La liberté est de toute façon une notion propre à chacun.

    • Satanas Says:

      @luisetti : elle passe de cure de desintox en cure de desintox et je ne suis pas sur qu’elle est bcp de pognon.
      Ce n’est donc ni un exemple, ni une situation désirable.

      • Satanas Says:

        Le patron, c’est le temps passé à gronder. Ce n’est pas une personne physique mais cela revient au même.
        On est tous l’esclave de quelque chose ou quelqu’un !!!
        Sniff

  9. trabucco69 Says:

    j’avais vu ce reportage :
    http://www.castelspace.com/videos/poker/divers/thats_poker.avi
    j’avais trouvé ca très bien de voir que justement la vie de joueur pro c’est pas toujours rose

  10. Goldenfish Says:

    Parfaitement d’accord avec cette vision des choses, merci pour cet article 🙂

    « Trouve un travail que tu aimes, et tu ne travailleras plus jamais » Confucius

  11. zmasters Says:

    Whooo elle déchire ta phrase de Confusius Goldenfish.

    Perso, je m’engage sur l’autoroute mais en ayant bien en tête de bifurquer dès que j’en aurais la possibilité, ça me dérange pas à l’heure actuelle de tout plaquer si je ne me sens pas bien dans mon futur métier (j’y suis pas encore). Je préfère être pauvre mais heureux que riche et malheureux à me lever tout les matins en me disant « oh putain faut que j’aille bosser encore et encore ».

    Je préfère ne rien faire que de faire qqch que je n’aime pas disait l’autre dans je sais plus quel film, et bah j’ai fait de cette devise la mienne.

    Féniant? Malin…

  12. viedefish Says:

    Bravo Goldenfish pour ta phrase de Confucius ! C’est exactement l’idée du post sauf que toi, tu me le sors en 12 mots quand moi, il m’en aura fallu plusieurs centaines…) 😀 Très juste en tout cas.

  13. D8 Says:

    attends c’est pas Goldenfish mais Confusus qui a sorti ça! C’est pas pareil!
    Cela dit peut etre que Goldenfish aurait massacré Confusus en heads up!

  14. satanas Says:

    @Goldenfish : c’est très idyllique comme pensée. Croire cela, c’est s’exposer à de grosses désillusions.
    A part posséder plus d’argent que nécessaire et trouver un boulot en plus, je ne pense pas que cette phrase puisse s’appliquer.
    Même si le travail te plait, il y a toujours de moments où tu n’as pas envie d’y aller. Et quand en plus, comme au poker, tu es tributaire de la variance et des bad beat, ne parlons pas du tilt, je ne suis pas certain que ce soit rêvé.
    C’est un boulot sympa, c’est sûr… tant que tu gagnes ta vie mais pour combien de temps.
    Quand on voit les décisions de Larchevêque ou Eastgate, on peut se poser des questions, non ?

  15. satanas Says:

    La phrase philosophique du jour :
    La suprême récompense du travail n’est pas ce qu’il vous permet de gagner, mais ce qu’il vous permet de devenir.

  16. viedefish Says:

    Satanas merci à toi pour cette chouette phrase – ainsi qu’à vous tous pour avoir donné vos avis – : vous faites de ce blog, par vos commentaires, un blog vraiment différent des autres. Je prends vraiment plaisir à lire vos opinions sur les sujets parallèles liés au poker 🙂

  17. Guilherme Says:

    Débat intéressant. Un ingrédient me semble essentiel pour atteindre l’équilibre travail-plaisir : l’audace
    « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que l’on ose pas c’est parce qu’on ose pas qu’elles sont difficiles » Sénèque
    A très bientôt à Pontal 🙂

  18. Dr Wond Says:

    Aaaah, malheureusement, je n’ai pas de belle citation là, sur le coup.
    Peut-être, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ?

    Un grand merci pour le doc Arte glissé plus haut. (*)
    De l’intérêt de ne pas passer (toute) sa vie à une table de poker.
    J’ai été super surpris par Isabelle Mercier. J’pensais pas qu’on pouvait se préparer à ce point (rha ces filles) ^___^ .

    (* : si jamais quelqu’un a un lien vers le doc diffusé il y a un peu moins longtemps (peut-être, je sais plus) sur les étudiants compteurs de cartes du MIT, je serai volontiers preneur).

  19. F Montmirel Says:

    Bravo pour cet article anti-langue de bois, ce qui est rare dans les média poker.

    On pourrait ajouter qu’outre que gagner au poker constitue un vrai travail même si c’est un travail de marginal, jouer au poker a le très désagréable inconvénient d’empoisonner votre vie affective.

    Je connais peu de filles capables d’attendre leur petit copain pendant 5 jours d’affilée une vingtaine de fois par an sans être, finalement, séduites par la vie plus stable du voisin d’à-côté.

    Et on se retrouve après dix ans de poker pro passés à sillonner la terre entière, seul, sans amour à recevoir et parfois même sans plus d’amour à donner. Et par-dessus le marché, comme cela arrive parfois, broke. Avec un dur sentiment de gâchis. « Et l’on se sent floué par les années perdues » (Léo Ferré). Je sais, seul un vieux peut dire ca. Alors oui, je suis vieux. Mais je suis sur de ne pas être seul à penser cela, et c’est une réalité que peu de joueurs admettent publiquement.

  20. habitrouge34 Says:

    Bel article de fond….c’est vrai que le poker me fait un peu penser au système « star académie »…il suffit de voir la réaction des ados ayant arraché 1000 € un soir de cash game (c’est plus moral qu’arracher le sac d’une mamie au final )….

    Chanteur , Footballeur , Joueur de Poker voila un avenir respectable pour nombre de nos enfants laissés sur le bord de l’autoroute…

    Le signe d’une société sans valeurs « grinder plus pour gagner plus »

    Nous fantasmons tous sur l’inconnu ( pourquoi la femme de notre voisin est elle plus sexy que la notre ? et pourquoi notre voisin pense t il la même chose ?

    La réponse de F.MONTMIREL est a ce titre pleine de bon sens.

  21. gege91 Says:

    Joli article et belle conclusion 🙂

  22. jamaisbluff Says:

    @Francois Montmirel

    Tu parles ici des joueurs de MTT live qui parcourent le circuit.
    Mais il existe bien des façons d’être pro player, le net offre des parties rentables à toute heure et dans toutes les variantes du coup la majorité des joueurs pro actuellement vivent du online et jouent en live, MTT ou cash game, à l’occasion.

    De plus il est reconnu que seuls les joueurs sponsos peuvent partir sur le circuit toute l’année car le ROI du joueur MTT live est détruit par les frais d’avion hotel bouffe etc …

    et tout ca sans parler de la variance en MTT accrue par le fait de jouer 30 MTT/an. Johny001 avait fait un petit calcul sur club poker il a quelques années pour montrer qu’on peut run bad for life en live du au manque de volume

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