24h dignes d’un millionnaire et autres considérations sur l’argent…

GOOD RUN NUMERO 1 : PRAGUE

Se rendre compte que malgré des sessions de cash et de tournois désagréablement désagréables, l’environnement dans lequel on vit est magique. Mention spéciale donc à Prague pour sa majesté historique, ses excellents restos et hiphiphip à la cerise sur le gâteau : la très belle troisième place de Nico à l’EPT , histoire de bien terminer la semaine !

Prague est une des plus belles villes que je n'ai jamais visité ; entre la vieille ville, le château, la place et son marché de Noël et le reste, j'ai fait une overdose de waouh !

Et un des endroits que j'ai préféré d'entre tous est un musée d'art contemporain en centre ville pourtant peu connu des touristes : le Museum of Young Art, un endroit incroyable, entre un palais et un squat et qui offre des oeuvres comme je n'en avais jamais vu avant ! Un vrai voyage fun et terrifiant (ici, un vrai cheval empaillé sur bascule)

Repas entre amis suite à la finale de Nico ; time to celebrate !

GOOD RUN NUMERO 2 : Aéroport de London Heathrow, début d’après-midi

Un couple sort du métro encore habillé en simili-pyjama car « c’est plus confortable pour voyager ». Décoiffés, ils portent des baskets un peu vieilles, des valises réparées avec des autocollants « fragile » pour réparer les multiples chocs infligés par les transferts de soute en soute et n’arborent pas une mine très fraiche.

En effet, ils ont fait une nuit blanche l’avant-veille à Prague ; ils marchent donc comme des zombies en mode post-apocalyptiques mais arborent un petit sourire intérieur ; ils sont heureux de leur séjour en République Tchèque où ils ont découvert une ville sublime leur ayant totalement fait oublier une énorme et impitoyable poisse aux tables.

A leur arrivée au guichet de l’aéroport de Londres, l’hôtesse leur sort alors une phrase aussi inhabituelle que merveilleuse :  « L’avion n’est pas plein et nous avons aujourd’hui une offre exceptionnelle pour des places en business à prix très réduits, souhaitez-vous un upgrade ? »

A l’écoute du prix (étonnamment attractif), le couple se regarde et zou, décide de se faire un plaisir : en 4 ans, ils n’ont encore jamais voyagé en business donc c’est maintenant ou jamais ! En plus, pour 10h de vol jusqu’à Vegas, ça vaut le coup !

Best. Flight. Ever.

Conclusion : La blonde affiche un sourire crétin pendant 10h en sortant des phrases dignes d’une  gamine de 8 ans qui rencontre Mickey à Disneyland : « Regarde, mes pieds ils touchent pas le mur en face ! », « Je pourrais avoir un autre verre de St Emillion grand cru please ? », « Oh mon dieu le siège s’allonge complètement, ça fait un lit ! », « Tiens, on a une trousse de toilette individuelle ! », « OMG les mignardises sont délicieuses ! », « Tu as vu la zone snack ; ils ont des éclairs au chocolat à volonté ! ».

GOOD RUN  NUMERO 3 : Hôtel casino du Palms à Las Vegas

Nos deux frenchies, plus frais que d’habitude car ils ont passé un voyage merveilleux, arrivent au lobby pour le check-in (les joueurs de l’EPIC sont invités par l’organisation) et s’entendent répondre  par la réceptionniste :  « Je suis désolée mais nous n’avons plus de chambre avec un grand lit, donc nous allons vous upgrade ». Elle envoie un petit clin d’œil et sous-entend qu’il s’agit d’une chambre sympathique au dernier étage « You’re gonna like it ! »

Enthousiastes et curieux, ils poussent la porte de leur chambre au dernier étage et découvrent… une suite de plus de 150 mètres carrés avec deux chambres, trois douches et… 4 WC !!! Sériously ?

Michelle, une amie de Vegas, pose dans l'immense salon de la suite

Jouons ensemble : qu'est ce qui est bizarre sur cette photo ? Réponse : oui, l'eau du bain/jacuzzi coule du plafond !

De sa vie, la jeune femme n’a jamais été dans une suite comme celle-ci et elle s’entend prononcer des phrases hors du commun : « Attends, je vais fermer le rideau de la cheminée, sinon j’ai la lumière du salon dans le lit ». Traduction : la chambre est séparée du salon par une vraie cheminée transparente. « Hahaha, ils sont fous ces ricains ! »

Et ensuite, histoire de clôturer ces 24h en toute beauté, le couple prend la direction d’un des meilleurs restos du Bellagio, où les attendent Guillaume, Caro et Gilles, pour un petit festin face aux fontaines, tranquillou…

La vue depuis le Steakhouse : la Tour Eiffel 🙂

Et maintenant, ne vous méprenez pas sur le pourquoi je vous raconte tout ça. Le métier de joueur pro implique de beaucoup voyager et de mener un certain train de vie : comment choisir, quand on vient de gagner quelques milliers d’euros en tournoi, de prendre le métro au lieu de grimper dans la voiture avec chauffeur ? Ou de dormir au Formule 1 alors que le tournoi se déroule au Royal et qu’on veut le jouer dans les meilleures conditions ? L’idée, c’est juste de faire attention. Jamais je n’aurais voyagé en business sans une réduc’ de fou et jamais je n’aurais dormi dans cette suite de malade si elle n’avait pas été livrée avec un gros paquet cadeau tout autour 🙂

Parce que rien ne dure et qu’on ne sait jamais ce que la vie nous réserve, surtout dans un milieu aussi imprévisible que peut l’être le poker. J’ai une chance inouïe d’avoir la vie que j’ai. Nombre de mes proches galèrent dans leur boulot, galèrent pour boucler les fins de mois et galèrent en général. Ce qui a longtemps été mon cas aussi ; je sais très bien ce que c’est que d’être à un euro près et de rentrer à pied parce qu’on veut économiser l’équivalent d’un trajet de bus.

D’ailleurs, quand je suis arrivée dans le milieu, j’avais la nausée quand je voyais Fab assis devant 15 000 dollars en cash au Bellagio et qui jetait ses jetons comme s’ils n’étaient que des bouts de plastique. Ca me rendait malade et je me faisais violence pour ne pas le forcer à prendre ses jetons et se lever pour aller les mettre direct sur un compte-épargne à la banque.

Depuis, j’ai presque pris l’habitude d’entendre des joueurs sortir des phrases comme « Je te dois combien déjà, 2 ou 3k, je me souviens plus… » ou « Non, ça va, je m’en suis pas trop mal tiré, je suis derrière de 100k mais ça aurait pu être pire». Un autre monde. Oui, un autre univers  à cent mille années lumière de ce que j’ai toujours connu.

Parfois quand même, je reste subjuguée, par exemple quand un joueur bien connu (et qui se reconnaitra) dit qu’il « avait la flemme de faire ses bagages donc qu’il a tout laissé dans sa chambre et que tant pis, il rachètera tout. Ipod et chaussures de marque comprises. » Ou alors quand un joueur qui vient de remporter un gros tournoi claque tout quelques jours plus tard au craps ou au blackjack.

C’est comme si l’argent n’existait plus. Je connais des joueurs qui oublient des jetons de 1000 dans les poches de leur pantalon et qui vont se coucher sans plus y penser. Des mecs qui oublient qu’ils ont prêté 1000 ici ou 2000 là. Qui claquent des sommes phénoménales dans des bouteilles de vin au resto. Qui prennent systématiquement la plus belle suite de l’hôtel même s’ils n’ont pas fait de résultat depuis Mathusalem…

Nous avons connu l’âge d’or du poker, celui où nous étions très nombreux à être sponso en échange finalement de peu (=porter un logo et basta) mais les temps ont changé. Désormais, le climat économique maussade du moment affecte aussi le poker et je trouve que beaucoup de joueurs ne pensent pas assez à l’avenir.

Alors oui, être joueur pro fait souvent perdre le sens des réalités au vu des montants joués. Et oui, j’ai passé 24h de folie, qui sortent vraiment du quotidien et sonnent comme une exception dans ma vie. Mais cette suite (offerte) et ce voyage en business (discount) font suite à 20 ans de jeu de la part de Fabrice. 20 ans. Pas deux ou trois. Vingt.

De façon générale, mieux vaut mini-spew sur la longueur que maxi-spew en 48h. Ce qui n’empêche pas, comme au poker, de se prendre « des shots » de temps à autre en se faisant super plaisir sur un coup de coeur, évidemment…

Je ne supporte pas l’idée que des mecs de 20 ans lâchent leurs études pour se jeter à corps perdu dans le poker et qu’ensuite, parce qu’ils ont gagné 10k en un mois, claquent l’intégralité dans les semaines suivantes dans des choses futiles ou des paris débiles pour des sommes déraisonnables parce qu’ils ont vu de grands joueurs faire la même chose. Ma grand-mère me dit toujours « Garde la main accrochée au bateau ». Il faut prévoir l’avenir et savoir qu’il n’y a qu’un moyen pour rester longtemps sur le circuit : gérer son argent et son bankroll.

Comment certains joueurs ayant abandonné l’idée d’avoir un métier normal ou de faire des études supérieures vont-ils se démerder si un jour ils se retrouvent broke ? Tous les joueurs de poker sont ou ont été un jour de leur vie en difficulté. TOUS, et même des joueurs sponsorisés (qui sont de moins en moins nombreux). Et comment gérer à ce moment l’idée de devoir se lever tous les matins et retravailler un jour pour 1000 euros par mois ?

L’idée c’est donc de se tenir à sa ligne de conduite et de préserver l’exception. Se faire une folie un jour, faire plaisir à ses proches et à soit mais garder une vision nette de l’avenir. On ne devient pas un grand joueur de poker sans prendre des risques, on est d’accord. On ne devient pas non plus un grand joueur de poker sans avoir un côté gambleur. En clair, on ne devient certes pas un grand joueur de poker en étant une fourmi mais en étant une cigale, et bien ça ne marche pas non plus. Ce n’est un secret pour personne, tout le monde le sait mais beaucoup trop de joueurs pro spew leurs économies comme s’ils allaient mourir demain.

Le monde dans lequel nous vivons est tellement déprimant et offre si peu de lueur d'espoir quant à l'avenir qu'il vaut mieux se préparer un petit nid...

Mais pourtant, ça arrive ; l’injustice de la vie fait que certains partent trop tôt… Et c’est une des raisons qui fait qu’économiser comme un fou toute sa vie et faire trop attention à l’argent est une erreur : à quoi sert de se serrer la ceinture pendant des années (par choix, pas par nécessité, obv) pour un jour, une fois à l’âge de la retraite, pouvoir se dire « Allez, fête du slip, je vais casser ma tirelire ! » mais être bloqué sur le pas de sa porte parce qu’on s’est fait un lumbago ou qu’on a des rhumatismes…

Je viens d’ailleurs juste d’assister à une très belle cérémonie donnée en l’honneur de Doyle Brunson. L’homme, à 78 ans, a fait preuve d’une solidité remarquable en traversant les décennies (et le fait d’avoir investi une partie de ses gains dans l’immobilier y est pour beaucoup). Il a tout connu (les années mafia, le début d’internet, le boom du poker etc…) et beaucoup le considèrent encore comme l’adversaire le plus redoutable qu’ils connaissent ; d’ailleurs, il continue à jouer dans la Bobby’s room, ce qui veut dire beaucoup.

Doyle a été honoré pour l'ensemble de sa carrière ; c'est presque intimidant d'ailleurs de poser à côté de lui quand on sait ce qu'il a vécu avant !

Je n’aurais évidemment jamais le millionième de sa carrière mais j’aimerais arriver à me dire que le poker m’a fait vivre pendant des années. J’ai beaucoup de chance de vivre avec Fab mais ce n’est pas pour cela que je n’ai pas ma fierté : sponso ou pas, je vais continuer à gagner ma vie comme je l’ai toujours fait, et continuer à payer, comme ça a toujours été le cas, mon loyer, mes voyages et inviter qui je veux au resto de temps à autres.

C’est donc pour cela que je me suis installé à mon petit bureau face à Sin City pour me remettre sur mon scénario (que j’avais laissé de côté pendant quelques semaines, histoire de laisser mijoter) et que surtout, je vais descendre d’ici peu dans la salle de cash du Palms pour voir ce qu’il s’y passe et tenter tous les jours d’y grapiller un petit billet. Qui ira direct sur mon compte en banque. Ou dans une machine à sous (non, je déconne). Bref, au boulot !

UPDATE : Je viens d’apprendre à l’instant la disparition d’Eric Haïk. Toutes mes condoléances à ses proches et à sa famille ; il va beaucoup manquer au monde du poker français… Quelle tristesse… 😦

18 Réponses to “24h dignes d’un millionnaire et autres considérations sur l’argent…”

  1. CAMPION Says:

    La suite je connais pas mais le voyage en classe affaire (grâce à mon boulot) j’ai testé et c’est méga top. Mais c’est d’autant plus top quand tu sais l’apprécier à sa juste valeur, comme ça a été ton cas. C’est vraiment bien, et c’est tout à ton honneur (on en doutait pas ceci dit) de garder les pieds sur terre et de respecter la valeur de l’argent que des millions de gens gagnent difficilement quotidiennement.

  2. rincevent Says:

    Toujours aussi appréciable ton approche des choses. Change rien, et GG pour ta sick life 🙂

  3. thorgalxiii Says:

    encore un post sympa qui permet aux petits joueurs d’apprécier par procuration. Pour l’avion, le plus dur est le retour en classe éco …
    GL

  4. D8 Says:

    préviens claire avant de finir un post comme ça..

    euh sinon le post était vraiment excellent, il faut vraiment garder les pieds sur terre.

    Mais là euh..
    😦

  5. stefal Says:

    Très beau billet sur un sujet difficile.

  6. betonline06 Says:

    Bravo pour ce post.
    Savoir prendre du recul est la chose la plus difficile dans ce monde. C’est ce qui m’a le plus choqué aux WSOP cet été, tous ces joueurs sponsos ou non qui ne parlent « que d’argent » et n’ont pour la plupart aucun « plan de carrière / bkr management ».
    Comme tu le précises, l’équilibre « raisonné vs. déraisonné » restera à jamais un exercice périlleux pour tous les joueurs de poker (de par leur nature).

  7. lessims Says:

    Prague et sa grosse horloge… que de souvenirs, merci pour la photo !
    Terrible la nouvelle en fin de billet par contre …
    RIP 😦

  8. LadyCats Says:

    La classe Claire, comme d’hab, de bon ton, réaliste et tout et tout. Aujourd’hui, moi, j’ai juste profité de ton superbe article, un bon moment de la vie !

  9. TiTi PöKeR Says:

    Nom de dieu, quelle triste vie en 1ère partie …..

    Sujet ôh combien délicat traité en seconde partie. Je me sis fait depuis un moment la réflexion similaire …. C’est vrai que le poker permet à quelques uns de vivre une (partie) de vie féérique, mais à combien il a coûté maison, famille, travail, place dans la société ….

    Encore une fois, je vois que malgré ce que tu as déjà vécu, les pieds sont bel et bien sur terre. Chapeau

  10. brduke Says:

    Nice post !
    L’argent… qui mène à tout, au pire ou au meilleur… Heureusement que le plaisir de jouer n’a pas de prix.
    RIP Eric.

  11. mad_thorgal Says:

    Comme d’habitude superbe état d’esprit, quel plaisir de lire ce genre d’article (bon bien sûr pas la fin).
    Continue de garder les pieds sur terre, de conserver la valeur des choses, et de nous faire rêver, rire, etc. grâce à tes posts!
    Lire de tels articles, échanger avec les spécimens qui t’ont laissé des commentaires, c’est aussi pour ça que j’aime le poker!

  12. KKof Says:

    Au moins on en peut pas dire que tu n’as pas la tête sur les épaules.
    En tout cas bonne écriture à toi et ponds nous un super scénar !

  13. Guilhem Says:

    Very very nice post ! Thanks Claire ! 😀

    Wow la bussiness class 8-o, ça doit changer par rapport aux avions on l’on touche le siège de devant avec les genoux…
    😉
    Ricardo
    http://ricardoc1.wordpress.com/

  14. fanny Says:

    quelle ecriture !!! on en bave ! mais tu sais profiter ! c est chouette ! par contre…posté le 15……et meme pas une petite dedicace a colin….bisoux !!!!!

  15. Andtherivercame Says:

    Je sens plusieurs goûts dans ton article : un goût sucré, celui du bonheur de profiter de la vie grâce au poker, un goût mi figue mi raisin : est-ce acceptable? un gout amer: y-ai-je droit?

    Pour le sucré, profite bien. Est-ce différent du sucré d’une entreprise qui t’envoie aux 4 coins du monde en business et palace? Non. Alors profite.

    Pour le mi-figue mi-raisin, il faut arriver à garder une ethique de vie et un discernement. Personnellement dépenser 2000$ pour une bouteille de Cristal Roederer ne me gène pas, mais laisser mes affaires dans ma chambre d’hôtel en me disant que l’on rachetera tout par fainéantise et aussi que la femme de chambre s’en arrangera me dérange… Chacun fait comme il veut et le luxe de certains est finalement un manque de savoir vivre pour les autres.

    Pour le amer, juste le fait de se poser la question démontre que tu y réfléchis ce qui à mon sens est un des sésames qui t’en donne donc le droit. Pour les autres clefs, toi seule le sait.

    Enfin, et pour avoir bien poussé le modèle, le monde artificiel de la nuit, des palaces et des pailettes est bien sympa mais ne me suffit pas. J’ai besoin d’accomplissement intellectuel et d’épanouissement social et là le poker ne m’a rien amené.. J’aimerais avoir ton avis sur ce point d’ailleurs.

    Anyway, nice Post !
    Keep Going

  16. Pokerloto Says:

    Hilarant ce billet , surtout la leçon de vie à la fin sur les économies… hi hi hi HO HO HO

  17. absandre Says:

    C’est toujours une joie de lire ce Blog tellement décallé par rapport au autres blogs sur le net.
    J’écris rarement sur les forums, mais je tenais à vous féliciter (toi et fabsoul) pour la vision particulièrement saine que vous avez dans ce monde particulèrement « malsain » ?!?
    Bon courage à vous deux et surtout good luck

Répondre à fanny Annuler la réponse.