Pourquoi jouer un tournoi à Aix-les-Bains peut être plus difficile qu’un EPT à Copenhague…

Bon, ok, j’ai volontairement appuyé sur le champignon de la provoc’ dans mon titre, mais l’idée est là : de la difficulté de gagner un coup à une table de joueurs débutants. Et il est question de débutants relous. Pas de mecs gentils qui misent quand ils ont et foldent quand ils ont pas (une espèce malheureusement en voie de disparition).

Je vais commencer par un exemple qui en dit long. Nous sommes donc dans le Dream Poker Tournament dans le très joli casino d’Aix-les-Bains pour un buy-in de 1 100 euros (je tiens d’ailleurs à remercier l’organisation pour leur chaleureux accueil). Un joueur, appelons-le « Némo », paie un raise, call flop puis décide de monster raise turn sur un board 6 8 J 7. L’autre en face se gratte, souffre et finit par fold brelan de 6 en voyant la force sereine affichée sur le visage de Nemo. Ce dernier abat alors fièrement A9 avec un grand sourire. Silence… On se dit tous, « Wow, ok, beau bluff, punaise, il a des coucougnes le mec… » Sauf qu’il sort deux secondes plus tard : « C’est facile en même temps avec quinte ! ». Petit blanc gêné à la table… « Mmmh… Non, vous n’avez pas quinte… ». Et là, Nemo, tout rouge, comprends son erreur et tente de se rattraper : « Mais je sais ! Bien sur que j’avais pas quinte ! ».

Ensuite, quelques heures plus tard, Némo décide de payer un raise hors position après avoir limpé avec 8h-6h. Le flop tombe 7h 7s 9h. Et là, dans un pot de 4k, Némo donk 40k et tapis (!). L’autre se précipite pour payer avec 7-9, créant un « Wow ! » général à la table… Lorsque la river tombe, un 10 de cœur, évidemment, le mec avec 7-9 manque de tomber de sa chaise et se lève immédiatement pour parler aux murs. Pendant ce temps, alors qu’on compatit tous à la douleur du two-outé, Némo nous explique, en ramassant les jetons : « Ah mais j’étais quand même énorme au flop, les cœurs, la quinte, c’est pas non plus un truc horrible… » On lui explique alors qu’il y avait full en face et que du coup, seules deux cartes pouvaient le sauver, « Ah oui… Ah ben j’ai eu de la chance hein, hahaha ! »

Maintenant ma question est : comment jouer contre un mec qui ne comprend rien ni à ce qu’il fait ni à ce que les autres font ? Le poker est un jeu où le talent de lecture est ce qui différencie un bon joueur d’un mauvais. Tout se joue dans l’habilité à mettre notre adversaire sur un range plus ou moins précis et jouer ensuite au premier, au second ou au troisième degré sur le « Il croit que je crois qu’il a cette main, donc je vais jouer comme ça pour tout lui prendre ».

Sauf que contre un joueur qui ne sait pas ce qu’il fait, la lecture est par définition impossible. La stratégie non plus. Nous en parlions lors d’une discussion intéressante avec Ludovic Riehl (qui prépare justement un blog à ce sujet), Michel Abecassis et Fabsoul et le débat était animé : est-ce un cauchemar ou une bénédiction de jouer contre des débutants ? Car la seule façon de contrer un adversaire qui ne comprend rien est de jouer super tight, ne jamais bluff et de value au max toutes ses mains. Ok. Sauf que comment on fait quand on a pas de jeu ? Ce n’est même plus du poker, si ?

Jouer contre des mecs qui ne savent pas lire un board, n’ont aucune logique de mise (mise/raise pour value ou pour bluff?), aucun raisonnement et qui en plus, se trompent en lisant le board ou leurs cartes, c’est de la roulette. Le joueur pro en est réduit à jouer purement ses cartes, sans aucune fantaisie, aucune stratégie ou aucun bluff, ce qui est non seulement d’un ennui total mais en plus, un pacte unilatéral avec Dame Chance (« Pitié donnez moi du jeu et des mains à value »)…

Quel joli lac que le Lac d’Annecy… Tant de promesses…

Miam miam, chomp chomp, burb…

« Je crois que j’aurais pas dû reprendre de dessert… »

Meugnnnnmeugnaraaaaaaaa… Plus jamais…

MASSACRATOOOOOOOOR !!!

Pardon pour la pauvreté de la BD ci-dessus mais bon, vous comprenez l’idée quoi… 🙂

Dans un tournoi de niveau moyen, prenons un Day 1 dans un WPT par exemple, il est possible de bluff des petits pots par-ci, par là, de grind à droite et à gauche car il y a du répondant en face. Les mecs bien souvent comprennent ce qui se passe et ne sont pas suicidaires. Ils ne paient pas deux barrels avec ventrale pour hit une paire miracle river par exemple…

Vous allez me répondre « Mais tous les jours, j’ai envie que le mec me paie en étant derrière ! » Sauf qu’il y a « être derrière avec 5% » et « être derrière avec 40% »… La notion de long terme en tournoi live n’existe pas ; ce n’est pas du cash game ou du multi-tabling online où la succession de tournois amortit la variance. Non, c’est du one shot. Et avoir en permanence un mec qui paie votre AKo avec Q6s et qui est prêt à mettre sa chemise à la river sur un board T 9 6 7 2 avec une couleur qu’il n’aura même pas vue, c’est horrible. Le mec ne va pas aller loin sur le long terme, mais sur le court terme, il va vous pourrir. Et ensuite, même s’il saute, c’est un autre qui va prendre sa place…

Je vois par exemple dans ce tournoi, je n’ai eu en six heures de jeu que deux fois AT et une fois 66. Le reste du temps, j’avais des suited connectors qui trouvaient leur flop (mais jamais le reste) ou des poubelles injouables. J’ai stupidement tenté des moves de type « Je représente exactement cette main là et lui, comme il a AK, il va devoir fold » sauf que non, le mec ne fold jamais. Je n’aurais jamais dû tenter autre chose que de jouer purement mes cartes. Et comme sur toute la durée du tournoi, je n’ai hit que deux fois une paire (véridique, un truc de fou), je ne pouvais pas jouer, ce qui n’aurait pas été le cas dans un tournoi avec un field plus relevé.

Attention, je ne dis évidemment pas que je préfère un field épicé à un field de petit tournoi de casino… C’est juste que, comme tout le monde, je préfère l’entre-deux…

Je préfère perso tous les jours affronter un robot nordique médiocre (ils ne sont évidemment pas tous bons), genre ceux qui ne sortent jamais de leur ligne de conduite (call un raise HP avec main pas terrible : jamais, limp : jamais, call flop avec ventrale et une over : jamais, 3-bet automatique avec un range précis allant de 8-9s à AA, auto-push anytwo à 10BB left en late etc…) plutôt qu’un mec qui, à la question « Quel est son range de call ici ? » a pour réponse « Any two » et qui donk/over bet une fois sur deux selon son humeur et ses cartes préférées du moment…

Je suppose toutefois qu’il y a ici une belle piste à explorer pour arriver à jouer contre de très bons joueurs. L’effet de surprise et la faculté à sortir des sentiers battus, c’est d’ailleurs ce qui va faire la différence entre des très bons joueurs et des joueurs juste bons. La faculté à donner des maux de crâne… « Mais pourquoi il a joué ce coup comme ça ? Mais WTF ? Mais qu’est ce qu’il a ? »

Evidemment, et c’est là tout le problème, des plays élaborés ne peuvent être mis en pratique que contre des joueurs ayant le niveau en face de comprendre ce qui se passe… Et il n’est pas toujours facile d’être sûr à 100% du degré de lecture du mec en face… De même, sortir de la ligne implique forcément aussi de grosses prises de risques et la nécessité de virer hors de l’autoroute du mathématiquement correct.

En fait, ça me fait penser à la stratégie de kung fu de l’homme ivre. On croit qu’il fait n’importe quoi mais en fait, après petit coup de pied à gauche, une bonne banane à droite et un léger enfoncement thoracique au milieu, on comprend que le mec envoie du lourd, non pas dans son gosier mais dans ta pauvre face de blairette qui n’a pas compris ce qui lui arrivait.

J’en parlais dans les commentaires du post précédent, où il était question de créativité, qui à mes yeux représente toujours une grosse part de risque, sauf si on connaissait vraiment son adversaire et que l’on joue à un gros niveau. Je précisais aussi que pour moi, n’est pas Picasso qui veut et qu’avant de jouer en déconstruisant, il valait mieux sacrément maîtriser le pinceau… Perso par exemple, je sais que j’en suis incapable ; j’ai un jeu propre et solide mais je ne sais pas encore comment retourner un bon adversaire comme une crêpe en lui faisant croire ça, puis ça, avant de le raise puis check-raise puis whatever it is…

Bref, tout ça pour dire que mon prochain tournoi sera un side event à Prague en décembre où j’espère qu’il y aura plein de gentils petits robots nordiques. Pas les méchants robots qui donnent mal à la tête, non, juste les gentils qui jouent proprement… Et en attendant, retour à Londres pour le mois de novembre : quel bonheur d’être chez soi, surtout entourée des deux (trois) amours de ma vie :

Sean, mon idole de toujours et Fishou le Lapinou, mon nouveau porte-bonheur ! (il est un peu mort mais il est très doux…)

Sur ce, Londres est une ville extra-ordinaire et, contrairement aux idées reçues, il n’y fait pas plus mauvais qu’à Paris (il y fait juste mauvais tout pareil…). J’y retrouve un parfum de New York et de Brooklyn où le dynamisme et la réactivité sont un état de fait, où les restos ouvrent au gré du mood du moment, toujours à la pointe de l’innovation et du renouveau, où les boutiques sont hallucinantes, absurdes et audacieuses, où les gens sont brassés dans un melting pot géant d’où ne sort que le meilleur, où l’excentricité fait sourire, où on enchaine une promenade dans Hyde Park avec une soirée underground dans une ex-église… Bref, une métropole immense, un centre du monde bourré de surprises et de choses à découvrir en permanence. Perso, je ne pourrais plus vivre ailleurs !

Ok, sauf peut-être là…

Ou là, allez, soyons fous :

Et ce qui est fun, c’est qu’au final, je ne suis qu’à quelques (gros) flips de ces paysages de rêve! Et que vous aussi ! (Mode optimisme maximum ON) 😀

14 Réponses to “Pourquoi jouer un tournoi à Aix-les-Bains peut être plus difficile qu’un EPT à Copenhague…”

  1. gum110 Says:

     » stratégie de kung fu de l’homme ivre « . je la connaissais pas celle là !!!
    GL pour Prague.
    @ +.

  2. D8 Says:

    T’aurais pu au moins nous raconter comment t’as bust!
    Bonne chance à Prague…

    • viedefish Says:

      Je 3-bet all in dans les blinds avec AT (short stack mais encore de la FE) un mec qui raise en late. Sauf qu’il a AQ. Et voilààààà, pas très palpitant… 🙂 Et merci pour Prague et GL à toi aussi pour tes prochains tournois !

  3. TiTi PoKEr Says:

    … … la chance du débutant, …. l’excellente lecture du sabot, on peut expliquer comme on veut, comme j’ai entendu dire ailleurs, si le coup est gagné, c’est qu’il a été bien joué ….. (mwaip …) école soviétique peut-être, mais ce genre d' »exploit » on en rencontre partout maintenant, en low comme en large buy-in. La vie d’un pro est de + en + difficile il me semble …. PS il faudrait changer d’hélico, car il me semble un peu petit pour vous 2 😉

  4. Stalinstate Says:

    Salut Viedefish !

    D’abord, merci pour les 2 nouveaux billets, ca faisait bien longtemps et y’avait faim :S

    Je suis en ce moment a Londres ( plus pour longtemps), et j’adorerai me trouver une soiree « underground » a faire avant de repartir pour Paname. Y aurait-il moyen que vous me filiez une ou deux bonnes adresses ?

    Merci beaucoup et longue vie a votre blog !

    Stalinstate.

    • viedefish Says:

      Hello !
      Le principe même de bcp de soirées « underground » c’est qu’elles n’ont jamais lieu au même endroit 🙂 De même, il faut souvent réserver à l’avance via internet (par ex, celui propose des trucs assez déjantés et fun http://www.thelasttuesdaysociety.org/) Après, ça dépend aussi ce que tu recherches… Si tu veux une teuf techno dans un entrepôt, par ex, il te suffit d’aller dans les bonnes boutiques à Camden Market et de regarder les flyer ou de demander gentiment au vendeur ^^
      Sinon, sur le site Time out London, dans la rubrique « alternative nightlife », tu peux aussi avoir des trucs sympas,
      Bonne fin de séjour !

      • Stalinstate Says:

        Merci pour la reponse ! Je vais jeter un oeil a tout ca tres vite.
        Bon courage pour le boulot !

        Stalinstate.

        PS : Coup de coeur pour Le festival de la couille sur la photo 🙂 Si tu l’as aime, que tu as un peu de temps a tuer et que tu les as pas encore lus, y a Fight Club et Lullaby qui valent le detour, du meme auteur.

        S.

  5. kaviar Says:

    Vraiment Claire Renaud, j’aime beaucoup ton blog.
    Tu écrit bien, c’est drôle et c’est interressant.
    Un combo malheureusement trop absent de la blogosphère (je sens que je vais me faire pourrir)

    Pour répondre à ta question de comment jouer des débutants si on a pas de jeu, je te propose d’aller visiter ces liens vers le blog de pokernem qui a répondu à cette question il y a bout de temps) :
    http://pokernem.over-blog.com/photo-1454045-conseil-bluff1_jpg.html
    http://pokernem.over-blog.com/photo-1454045-conseil-bluff2-copie_jpg.html
    http://pokernem.over-blog.com/photo-1454045-conseil-bluff3-copie-copie-1_jpg.html

    En espérant que cela t’instruise, je ne peux que souhaiter te voir plus souvent sur la toile !!!

  6. Murlock7 Says:

    t tu seras avec ton homme demain a cp radio.?

  7. Guilhem Says:

    Excellent article comme les précédents ! Merci ! On dit que plus c’est rare c’est bon mais quand même, il y en a moins en ce moment, dommage pour nos yeux… 😉

  8. Andtherivercame Says:

    Bonjour Claire
    Cela me rappelle un débat que je viens d’avoir avec un pote.
    On joue une partie privée 5/10/20.
    Un mec a cavé 7000 par caves successives de 1000 en moins d’une heure.
    Le mec fait tapis dans le noir toutes les mains car ça le gonfle d’avoir perdu un coup.
    J’ai AcKc je call et perd face à T4o un pot dont je tairais le montant.

    La question a été : « Est-ce rentable pour nous cette partie? » Nous sommes arrivées à la conclusion que oui mais que la variance que cela nous imposera rend le jeu une, voire deux limites, au dessus en terme de bankroll management.

    Bref, je connais le vainqueur d’Aix, un joueur de Grenoble et juste lol sera le mot.

    En tournoi effectivement je me poserai la question différemment compte tenu du fait qu’on ne peut pas se recaver, mais le tournoi c’est nul (oui bon je suis un inconditionnel du cash alors..).

    Nice post.

    Cheers

  9. anonymous Says:

    Juste une question, tu veux qu’on te les donne les hendon mob??
    Je veux dire par là que tu dois rencontrer tous type de joueurs en tournois et que le bon joueur saura toujours s’adapter!

  10. Rv Says:

    « comment jouer contre un mec qui ne comprend rien ni à ce qu’il fait ni à ce que les autres font ? »
    alors ça, c’est une bonne question…

    Sinon, dans ton post tu parles d’un jeu stéréotypé, très tight et très ennuyeux contre ces joueurs.
    Pour ma part, je trouve que je gagnais plus souvent quand j’avais ce style de jeu au début.
    Mais le changement induit par la lecture, l’expérience, les discussions… fait que maintenant y a plus rien qui passe.

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